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Les Enfants de Pen Bron, La Turballe

L'enfant qui marche avec des béquilles

Voilà, enfin, depuis le temps, je suis debout. Bon, c’est vrai, avec un appui énorme - j’ai des cannes - mais une sensation superbe : plus besoin de me tenir allongé, d’avoir toujours les jambes, quand je suis assis, en position allongée. Je me sens bien de suite, j’appréhende un peu les marches, mais en prenant le temps tout se passe bien… Donc, direction  la voiture, et retour à la maison.

Pendant plusieurs minutes je suis là, à regarder les gens, j’ai une nouvelle vision des personnes, être debout change tout. Une chose qui est quand même incroyable, c’est qu’à chaque fois que je vais quelque part en voiture, je suis malade à l’aller et rarement au retour. Donc, le retour de l’hôpital se passe bien, et j’ai même hâte de rentrer.

Mes parents vont pouvoir rendre mon fauteuil roulant. Déjà, il paraît que la Sécu ne voulait pas le prendre en charge… Je me souviens de mon père qui voulait m’emmener jusqu’au bureau de la personne qui avait refusé, mais il voulait que je marche, enfin, que je fasse comme à la maison.

Une fois arrivés à la Sécu, il voulait que je rentre devant tout le monde jusqu’au bureau, sur me bras et mes fesses, franchement, la honte, je me disais : " pourvu qu’il ne le fasse pas…".

Le chariot a finalement été pris en charge, mais j’ai eu la trouille quand même… Donc, là, fini le chariot, il pouvait le redonner sans soucis, je n’en voulais plus.

Tout le monde était à nouveau content de me voir debout, et j’étais à nouveau pendant quelque temps entouré avec des sourires.

Le fauteuil roulant m’a formé les bras, et les cannes allaient à leur tour prendre la place pour me muscler.

Ça, pour marcher, c’est parfait pour vous muscler encore mieux. Très vite je vais ressentir à l’intérieur de mes paumes de mains la brûlure que provoque l’échauffement de la marche.

Je ne peux pas dire que j’ai mal aux pieds, non, mes pieds sont mes mains, elles supportent le poids de ma petite personne ; à chaque foulée que je fais mes bras soulèvent mon corps, un pas, un appui de mes bras, et on recommence, mais je suis debout, je ne marche pas, je balance mon corps devant moi, j’avance quand même très bien pour un début…

Une fois de retour à la maison je me sens fier d’être debout à nouveau. Je peux me déplacer là où je veux sans avoir à ramper sans arrêt à chaque déplacement. C’est quand même beaucoup plus facile pour moi d’aller du salon à la cuisine debout comme tout le monde à la maison. Bien sûr, comme ma station debout est permise quand je m’appuie sur mes cannes, je suis plus souvent par terre que debout, mais quand même, quel plaisir !

Souvent dans la salle à manger avec mon frère nous avions inventé une nouvelle façon de jouer au football. Depuis mon retour, avec une boule de plastique vide de l’eau qu’elle contenait, nous avons inventé le football en salle ou plutôt le football de salon.

Un sport qui n’est pas un sport de snob, bien sûr que non, rien à voir avec la danse de salon où tout le monde danse dans une immense salle, sur des musiques. Eux, ils dansent la valse, le tango, toutes les musiques qui font que l’on danse dans un beau costume et de belles robes. Nous, notre football de salon est dans la salle à manger, entre l’argentier dont les pieds servent de but et la petite marche qui sépare le salon de la salle à manger. Une paire de patins servent à délimiter les buts.

Mon frère, parfois debout ou assis par terre, et moi, comme d’habitude, je suis sur mon petit derrière à jouer contre lui. Des parties de football font de la salle à manger un risque. A chaque nouvelle partie de football les vases ou les vitrines de l’argentier risquent leur vie sur un tir mal cadré.

Parfois il arrive que nous sommes là, à voir la balle, ou la boule, pour être plus juste, partir en hauteur, direction la porte vitrée protégeant de belles tasses à café, sucrier en porcelaine… elle tape, fait un bruit d’enfer dans la vitrine, elle ne se casse pas… ouffff, enfin, encore une peur de l’avoir cassée, mais rien ne nous arrête, même la peur que nous venons juste d’avoir à l’instant, nous continuons nos parties de football.

Parfois je gagne quelques matchs, mais souvent je perds. Mon frère a un avantage, celui d’être debout, bien sûr, mais aussi celui d’être mauvais joueur, donc, afin que les parties continuent, parfois je le laisse gagner certaines parties. Sinon, tout se termine en bagarre, et là nous passons du football au catch, et encore une fois celui qui veut abandonner tape de la main par terre pour dire stop.

Bien souvent quand j’avais le dessus, mon frère se mettait à pleurer et j’arrêtais, et là il me tombait dessus en me prenant le cou avec ses jambes et serrait si fort que j’étouffais et me retrouvais dans la position où c’était moi qui tapais le sol de ma main, et là il fanfaronnait de m’avoir bien eu.

Et à chaque fois c’était pareil, je me faisais avoir et perdais une bonne partie de tous les jeux que nous avions ensemble.

Je n’aimais pas que Sébastien pleure ; il avait depuis qu’il était petit une maladie je ne sais pas si on peut appeler cela maladie, mais bon, s’il était en colère ou pleurait, ou se faisait mal, il e mettait à pleurer et à retenir sa respiration involontairement, et il devenait tout bleu, et ses lèvres bleuissaient, elles aussi.

Je me souviens que cela m’impressionnait de le voir comme ça. Parfois je lui soufflais dans la bouche, de peur qu’il s’étouffe… lui, la bouche grande ouverte, et moi, là, tout proche, je soufflais de peur qu’il ait plus d’air.

Souvent il m’a fait ce coup-là, et à chaque fois je peux vous dire que j’avais une trouille qu’il ne revienne pas à lui. Ensuite, en grandissant j’avais compris le truc. J’allais chercher un gant de toilette bien froid que je lui appliquais sur le visage pour le faire revenir à lui… L’eau bien froide m’aidait bien.

Souvent, donc, à jouer dans le salon, nous prenions une bonne remontée de bretelles, ou alors une bonne baffe que mon père nous distribuait volontiers, et –plaisir ! – ma mère n’était pas non plus sans nous oublier, bien sûr ! Mais j’en ai pris plus que je n’aurais dû, et Sébastien bien moins… après tout, j’étais le plus grand, c’était à moi de savoir ce qui était bien ou pas, donc, je prenais pour les deux. Cela mettait bien souvent une fin à notre partie qui reprenait de plus belle quelques minutes après le départ de mes parents pour le travail, ou alors, trop vexé par la baffe que je venais de prendre pour les deux, je ne voulais plus jouer avec lui. Avec mes cannes, plus besoin de personne, souvent je peux maintenant aller faire un tour dehors sans que personne ne pousse mon fauteuil, je peux sortir sur le pas de la porte ou aller dans la cour, je ne suis plus cloué dans le salon à écouter de la musique, le matin et l’après-midi je me déplace, et les week-ends sont un peu plus à sortir…

Je me souviens du 1er mai de cette année-là, où, comme d’habitude, mon oncle Christian nous emmenait tous dans le parc d’un château renaissance dont il connaissait les propriétaires pour cueillir, comme le veut la tradition, le muguet. Pendant quelques années nous sommes souvent allés le ramasser là-bas, et il faut dire que nous revenions les bras chargés de bouquets bien odorants de ces fleurs.

Cette année-là je n’ai pas dû ramasser énormément de clochettes. Nous étions installés sur la pelouse du parc; pendant que certains ramassaient, nous étions avec ma tante Christine et mon autre tante Patricia, là, assis ou à nous promener dans l’allée du parc.

Une chose dont je me souviens aujourd’hui et qui me choquait à chaque fois que j’ai vu cette photo, était la position que j’avais debout, en appui sur mes cannes.

Je la décrirais comme un chimpanzé se tenant sur ses pattes arrière, les fesses en arrière, le dos penché, oui, c’est bien cela, je revois la photo dans ma tête, j’avais les cheveux encore longs, bruns, bouclés, j’avais un tee-shirt, il faisait beau, mais plus je voyais cette photo, plus je me disais que j’étais que j’étais quand même mal en point à chaque regard.

J’ai essayé de retrouver cette photo, mais comme celle de ma balade à Carnac, impossible de retrouver, personne ne l’a…

Je n’ai plus beaucoup de photos de moi malade, sur mon lit d’hôpital ou à Pen Bron, pourtant les souvenirs, eux, sont encore dans ma tête, je garde bien profondément en moi mon histoire, les images de tous ces moments.

Je me souviens encore d’une balade sur Châteauroux. Nous étions partis en marchant jusqu’au centre ville; moi, avec mes béquilles je m’arrêtais souvent pour reposer mes mains qui me brûlaient à force de prendre appui, mais j’aimais cette balade.

J’étais petit, donc pas grand, pas bien épais, mais de ma maladie la seule force que j’ai obtenue est d’avoir eu des bras et un torse bien musclés; encore heureusement, quand je vois l’état de mes cuisses, ça compense un peu, pour vous donner une idée de moi, pas trop difficile…

Gosse, à l’école souvent on nous faisait faire des bonhommes avec des marrons dans lesquels on enfonçait des bâtons d’allumettes pour faire les jambes, voilà exactement l’image de moi que j’ai eue pendant des années… des jambes grosses comme des allumettes.

Certains diront, pauvre petit ou pauvre gosse, mais non, je n’étais pas malheureux de ma maladie, du moins pas à ce moment-là, pas encore, non, je faisais avec et je ne me souciais pas de savoir si j’étais un pauvre gosse à plaindre pour mes soucis, non, je vivais comme un autre gosse, sans pouvoir faire tout comme les autres, mais je ne me sentais pas si mal en point, juste choqué de l’état de mon corps, de mes positions debout, choqué par ce que je voyais, non, pas encore, je ne me rendais pas compte encore de mon état, je vivais… C’est vous, les adultes, qui au fur et à mesure du temps alliez m’aider à me faire comprendre (me rendre compte de ) mon état à marcher de travers, vous, qui alliez me regarder de travers quand j’étais en short ou maillot de bains. En fin de compte, vous m’avez fait comprendre méchamment que j’étais malade avant même que moi je m’en rende compte.

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