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Les Enfants de Pen Bron, La Turballe

l'histoire d'un enfant au centre de pen bron (4)

J'ai envie que les heures défilent, qu’elles me rapprochent de samedi, vite, si je pouvais d'un coup de baguette magique, je le ferais pour que le temps avance à toute allure afin de pouvoir voir une personne que je connais, une personne de ma famille.

Ce soir là, je scrute l'océan, enfin le peu de temps qu'il me reste à l’apercevoir vu que la nuit tombe vite et qu'après il ne me restera que le doux bruit des vagues à entendre et mes yeux les imagineront s'écraser inlassablement, perpétuellement sur la digue.

Samedi matin, mon premier samedi, dernier jour de classe et là j'ai hâte, j'ai encore la tête ailleurs, je suis présent en cours, mais mon regard est rivé sur la fenêtre, oui, bientôt, très vite je vais revoir mes parents. Ils sont la route en ce moment, ils ont du quitté Châteauroux de bonne heure pour être présent avec moi le plus tôt possible.

J'ai un énorme besoin de leurs mots, de leurs regards, de leurs gestes.

La classe n'en finit pas, les aiguilles de la pendule et celles de ma montre sont au ralenti.

Enfin j’entends Tartine nous donner les devoirs pour lundi matin, si elle savait ce que j'en pense de ses devoirs, si elle savait que j'ai autre chose à faire que de perdre le peu de temps que j'aurais ce week-end à faire des devoirs.

Ça y est, les filles de salle viennent nous chercher pour nous accompagner dans nos bâtiments respectifs, je voudrais faire voler ce lit sur roues, le faire aller plus vite qu'une voiture de course, je suis là dans le couloir de ma chambre, j’ai envie qu'ils soient là, que mes parents soient dans la chambre dès que j'aurais tourné…

Ils sont là, ils m'attendent, mon père assis sur le bord de mon lit, ma mère debout range dans ma table de nuit des sachets de bonbons et des bandes dessinées… Je souris, je souris et au fond de moi ça me brûle, j'ai envie de pleurer, de pleurer de joie, ils ne sont pourtant partis que depuis quelques jours mais là ça me brûle fort à l'intérieur. Je retiens mes larmes, pourtant mes yeux sont prêts à libérer tout ce bonheur, mais non je ne veux pas pleurer, je garde cela en moi.

Ma mère m'embrasse, mon père aussi et cela est tellement rare de sa part que j'ai toujours eu l'impression qu'il se forçait, mais ce n’est pas le moment de penser à cela.

Tout de suite, je leur raconte tout, tout, tout de ma rentrée en classe, des petits soucis que j'ai eu avec la maîtresse mais aussi des enfants qui sont avec moi.

Mes parents sont là, ils restent avec moi jusqu'à l'heure du repas, ils devront partir le temps que nous mangions tous ensemble, nous les enfants, mais avant ils me racontent la vie à Châteauroux et je me sens bien.

J'imagine mon frère tout seul et très entouré à la fois, il m'arrive de me dire qu'il a de la chance d'être avec tout le monde, de pouvoir retrouver ses copains tous les jours et je souris mais jamais je n'aurai échangé ma place avec lui, non je n'ai jamais imaginé cela.

Les enfants de la chambre me demandent ce que mes parents m'ont apporté et tous me disent que j'ai de la chance de pouvoir voir mes parents et moi j'avais hâte, hâte qu'ils reviennent au Centre.

Quand mes parents sont revenus, le lendemain, ils m'ont dit qu'ils avaient trouvé un petit hôtel et qu'ils avaient déposé leurs affaires et pris un repas rapidement pour pouvoir revenir très vite me retrouver.

Une fille de salle est venue leur proposer un lit de sortie oui je vais l'appeler ainsi : un lit de sortie car ce lit est un lit de promenade.

Nous nous sommes dirigés vers l'ascenseur et avons pris la sortie du Centre, là j'ai pu enfin vraiment réaliser et prendre toute la dimension de l'endroit où j'étais, découvrir ce bâtiment qui pour moi tout gosse me paraissait immense, un vrai château…

Nous avons pris la direction de l'embarcadère, il en aura connu lui aussi des moments durs et longs de reconstruction, tout comme nous nous les gosses de l'intérieur.

C’est superbe, je vois le port enfin de près, il est là juste de l'autre côté de la rive. En arrivant au bout de cette jetée, c’est l’océan, le vent est là, léger, je suis bien, je vis même, j'aimerais marcher dans ce sable, je vis, je vois ces vagues, c’est super beau enfin des images qui me font du bien…

Une journée comme ça passe trop vite, c’est fou mais j'ai pris l'air, j'ai pris enfin la vie en plein visage, un visage de môme qui découvrait un endroit particulier, un endroit de douleur, d’isolement mais aussi un lieu ouvert sur la mer, un lieu magnifique où se côtoient les dunes et l’océan, un lieu avec des bruits si nouveaux pour moi, le cri des mouettes, le fracas des vagues sur les rochers et la digue, les bruits des moteurs des bateaux de pêche…

Nous avons mangé ensemble à la cantine du Centre. Les soeurs avaient autorisé mes parents à prendre le repas avec moi, ainsi on ne se quittait pas et puis honnêtement, financièrement cela arrangeait bien mes parents car ils devaient déjà s’acquitter d’une chambre d’hôtel, des voyages en voiture et oui, économiser sur les repas et éviter le restaurant c’était une bonne chose… mais ne cela durera pas malheureusement.

J’étais bien, nous nous sommes encore promenés autour de la jetée, j'ai une nouvelle fois senti la force du vent et j'avais l'impression d'être comme du linge que l'on met à prendre l'air.

Mes parents reprenaient la route en fin d’après midi car demain, oui demain pour eux une nouvelle journée de travail, une nouvelle semaine commençait. Pour moi aussi une nouvelle semaine, mais de cours et j'en ai pas envie.

Ma mère me demande si j'ai besoin de quelques choses pour la semaine prochaine, enfin je dirais plus le prochain week-end…j'avais déjà ma petite idée, j'avais préparé une petite liste, ho ! pas grand-chose, non j'avais besoin de peu ici mais comme on m'avait dit que Tartine enfin Marguerite, mais n’ayez aucun doute, vous allez vous y faire, c’est facile… donc il parait que Tartine n'aime pas du tout le parfum de l'eau de Cologne donc dans ma liste l'eau de Cologne se trouve en première position… voila ma guerre est déclarée contre Tartine, elle déteste l'eau de Cologne, je vais donc contre-attaquer comme je peux, je vais me lancer dans la bataille du "je sens bon et fort le parfum" et "ne m'approche pas".

Voila ma mère m'embrasse, j’ai le coeur qui se serre, mon père m'embrasse, il me sert encore plus fort, je les vois passer la porte de ma chambre, je les regarde par la vitre, mes yeux ne les quittent pas jusqu'au moment où ils disparaissent de la vitre, voila un dimanche qui finit…pour moi la journée n'est pas encore terminée…Mes yeux sont remplis de larmes que je ne laisserais pas couler non, plus maintenant, je les garde au fond de moi, je pleure de l'intérieur, personne ne me verra ainsi, mes larmes sont bien là mais je me battrais pour que personne ne les voit.

Oui cela endurcit d'être là, cela forme, je ne suis plus, je ne serais plus le petite garçon comme bien d'autres, on devient mur beaucoup plus rapidement, même si mon corps est celui d'un enfant, même si mon corps est malade, dans ma tête cela travaille dur, très dur, c’est peut-être pour cela que plus tard je serais toujours à m’interroger, mais on est plus le même une fois avoir subi quelque chose de grave, je pense.

Les journées passaient très vite et lentement à la fois.

Le soir quand le vent soufflait très fort, j'entendais la mer, j'entendais le vent qui venait cogner aux volets de la chambre, il tapait fort à la porte pour s'inviter à entrer mais moi je le préférais là, cognant dans les montants… sous la force du vent les vagues se jetaient l'une après l'autre contre le mur de la jetée…

Certains soirs la veilleuse de nuit nous emmenait voir la télévision, elle nous permettait de rester un peu plus tard pour regarder les matchs de la coupe d'Europe. J'étais un supporter des Verts, j'aimais cette équipe comme beaucoup de jeunes maintenant aiment Marseille ou Lyon, nous à l'époque les grandes équipes c'étaient Saint-Étienne Nantes et déjà Marseille …

J’étais fou devant le petit écran à regarder les arrêts de Curkovic, ses prises de balle et sa déception quand de rares fois, il prenait un but, mais le meilleur, celui qui me faisait rêver le plus dans cette équipe c'était Piazza. Il était grand et fort avec une chevelure très longue qui flottait au vent et quand il accélérait sa course, il paraissait invincible. J'adorais le regarder sur le terrain, je ne voyais que lui.

Donc la personne qui s'occupait de nous, nous emmenait les uns après les autres, elle nous prenait dans ses bras puis nous déposait dans la salle de télévision, la salle où se trouvaient aussi de très grandes baies… cette salle était la plus près de la mer

Dès qu'elle me déposait dans le lit, je me dépêchais d'aller très vite à côté de la fenêtre pour voir l'océan, non pardon, elle m'installait près de la fenêtre et juste sous mes yeux, là où mes parents me sortaient le week-end, oui à cet endroit, je surplombais l’océan, mon regard se portait très loin, j’écarquillais les yeux, oui pour que mes yeux aspirent toute cette immensité offerte.

Je n'étais qu'à cinq mètres d'elle, elle était juste là, en dessous, je la voyais parfois, je la devinais souvent dans le noir, je voyais les vagues s'éclater et monter en une gerbe immense.

C'est aussi comme cela l'océan, il est souvent calme et beau l'été mais l'hiver, il lui arrive d'être violent, d'être sournois, insoumis mais il est toujours beau, souvent je pensais à ces marins partis en mer, pour certains le temps d'une marée, pour d'autres plusieurs jours et je me demandais comment ils pouvaient résister à la violence des vagues qui frappaient leur bateau aussi fort qu'elles venaient frapper la digue… comment pouvaient-ils travailler et aussi se reposer là bas, si loin de chez eux, bien au large, avaient-ils le même temps qu'ici… dur métier que celui de pécheurs, dure vie, dur travail qui fait nous profitons de poissons pêchés du jour sans même penser un peu à toutes ces coulées de sueur, aux vents qui balaient sans cesse leurs visages, à l’eau qui crevassent leurs mains…mais ils sont sur le pont et remontent les filets….

Attention je parle des marins des petits ports de pêche, ceux auxquels je pensais et que j’accompagnais de mes yeux, mais aujourd’hui, des marins, qui 35 ans plus tard, arrêtent le métier, dépassés par les événements, dépassés par la taille des bateaux, dépassée par des décisions prises à une échelle si grande et qui dépasse bien souvent leur quotidien, oui … il faut aujourd’hui répondre par quota et secteurs de pêche… la lutte est difficile avec les pays qui donnent sur l’Atlantique…

Donc ces soirs-là le je passais mon temps entre le match et l'océan, j'avais deux passions et là je pouvais m’envoler d’un coté, m’emplir les yeux de couleurs et de formes et de la vie qui se déroulait là au Croisic, juste en face de moi, et courir très vite sur un terrain de sport, me laissais porter par mes jambes et courir, courir, par la lucarne qu’est la télévision.

Mes parents venaient me voir toutes les semaines et chaque vendredi soir pour moi commençait la longue attente du samedi midi mais…chaque samedi matin en classe je n'étais déjà plus là…..

Mes parents m'avaient donc emmené mon arme pour repousser Margueritte, de l’eau de Cologne, la lavande était le parfum que j'utilisais le plus souvent. Chaque jour après la toilette, je prenais la bouteille et je déversais sur moi, sur mon corps et mes cheveux cette eau parfumée et fraîche, quelque part elle me faisait du bien mais je ne la mettais pas pour cela, non, vous pensez bien, je la mettais pour Marguerite… Je m’en aspergeais, j'étais inondé de ce parfum et en début d'après midi, avant de retourner en cours et bien oui je recommençais le même rituel, je passais plus d'une bouteille d'eau de Cologne par semaine et mes parents m'en ramenaient une nouvelle à chacune de leur visite.

Il émanait de moi une odeur, forte, très forte, mais le résultat était sans appel, je ne l'ai eu que rarement à mes côtés mais cela ne l'empêchait pas autant de m'interroger de son bureau, cela ne l'empêchait pas de corriger mes contrôles et me de faire toutes sortes de commentaires mais je me sentais si je peux dire, oui je me sentais beaucoup mieux Marguerite loin de moi.

Tous les jours une dictée venait clore la classe, tous les jours la même chose, et tous les jours, elle me demandait le nombre de fautes et à chaque fois j'avais droit à ma petite séance où elle me réprimandait devant tous le autres mêmes si j'avais fait moins de fautes. Pas une fois, non pas une fois elle m'a félicité, ne serait-ce que pour me dire c'est beaucoup mieux aujourd'hui, tu as vu tu as fait moins de fautes, tu dois continuer, tu vas y arriver…non jamais, jamais je n'ai entendu de sa part un seul encouragement, seulement des remarques désobligeantes mais je m'y étais habitué et cela ne me faisait plus rien.

Les matières que j'aimais bien, c’était l'histoire et la géographie. C’est à Pen Bron que j'ai appris la vie maritime et les ports de France, ses ports de pêche, ses ports de marchandises, j'ai appris plein de choses qui m'ont intéressées moi l'enfant des terres, il y a avait des ports tout le long du littoral, un port destiné stratégiquement à pouvoir délivrer là plus qu'ailleurs le pétrole, le gaz, ou bien des marchandises diverses, on les appelait aussi des terminaux.

J’ai aimé apprendre, j'ai aimé écouter les cours de Marguerite ; ces jours là j'ai aimé regarder la carte de France accrochée au mur ou au tableau et voir tous ces points stratégiques que Marguerite nous faisait découvrir… et là seulement, là j'étais certainement le plus attentif de la classe.

Quand mes yeux se posaient sur la carte de France, je situais Châteauroux, ma ville, je fixais ce point sur la carte, je revoyais tous les endroits que j’aimais, mon quartier, ma rue, ma maison, je voyais même les gens marcher, parler, ils étaient là devant mes yeux, petits fourmis qui s’activent, …j'imaginais, oui j’étais de nouveau chez moi.

Loin des miens, je suis un enfant de Pen Bron

Châteauroux me paraissait bien terne, sans trop d’intérêt, lorsqu’on y est, même enfant, c’est très souvent comme cela, et tout nous manque une fois loin de sa ville…

Ma maison, ma famille, mon frère, tout me manquait et puis, tout seul, là, au fond de mon lit je repensais à toutes les bêtises que j'avais pu faire, à toutes les bagarres et chamailleries avec mon frère. Il me fallait penser à tous ces moments, ne pas les oublier et vivre avec eux même si, oui même si je revoyais certains moments forts ou d’autre plus difficiles que l'on a souvent en famille, cela permettait de m'évader un peu, de m’associer à eux pendant quelques instants.

Les mercredis après midi où nous étions seuls, mes parents étaient au travail et mon grand père parti à son jardin, nous nous dépêchions avec Sébastien de faire de la semoule en cachette. Nous allions acheter avec l'argent que mon oncle nous donnait de temps en temps un paquet de semoule, nous adorions la semoule et puis ce n'est pas le plus dur à faire, une cuisine simple, un dessert que l’on adorait. Alors une fois que la casserole remplie de lait commençait à bouillir, je jetais la semoule et commençais le plus important bien tourner, ne pas cesser de mélanger le lait et la semoule et laisser cuire quelques minutes.

Le plus long était de laisser refroidir, attendre que l'on puisse commencer notre festin et là plus un mot juste le bruit des cuillères dans le bol et nous dégustions rapidement notre quatre heure imprévu.

Parfois il en restait et nous ne voulions pas la jeter alors je la cachais sous le lit en me disant que nous la mangerions le soir en cachette mais voila tant de choses pouvaient se passer que l'on oubliait très vite cette semoule qui nous attendait et je retrouvais quelques jours plus tard sous le lit la semoule qui avait moisi et qui était bien sur immangeable. Je prenais l'objet de notre délit et jetais le reste dans la poubelle puis je nettoyais le récipient. Mais le plus beau de tous nos quatre heures était quand nous achetions de la glace, toujours en cachette avec notre argent. J'attendais que le père Lebourg ouvre son épicerie accolée à notre maison pour aller acheter une glace. Je prenais une glace, un bac de glace, le plus gros au goût que nous aimions et là un vrai festin commençait. Je partageais la glace en deux, elle n'avait pas le temps de fondre bien sur que non, je la dégustais, non, je la dévorais et une fois que j'avais terminé je disais à mon frère de se dépêcher, que notre mère allait rentrer et qu'il ne fallait pas qu'elle s'aperçoive que nous avions mangé de la glace, j'insistai bien et là il me disait qu'il ne pouvait plus finir, qu'il n’y arriverait pas et moi je prenais son bol et la finissais, je ne me forçais pas, j'ai toujours aimé la glace, un délice, un plaisir indéfinissable et à chaque fois mon frère se laissait avoir et moi je me régalais.

Un samedi matin mes parents sont arrivés au centre avec un fauteuil roulant, un fauteuil rien que pour moi, de nouvelles jambes, une nouvelle manière de me déplacer bien plus intéressante que ce lit sur roues…

Avec ce fauteuil j'allais pouvoir bouger, me promener ne plus être dans ce lit à me morfondre, j'allais quelque part reprendre le goût de sortir, mon lit ne serait plus une prison. Ce fauteuil allait m'ouvrir d’autres horizons, mais aussi partager une nouvelle expérience avec mes parents car ils prendraient sûrement plus de plaisir à me promener, à m'emmener dehors, oui passer les grilles et sans avoir à pousser ce lit encombrant et difficile à manier.

Il faut dire que même si le lit sur roues permettait des déplacements, j'étais quand même mal installé, j'avais souvent mal au dos vu que ma position était sans appui, que ce soit en promenade ou à l'école. Durant la journée, j'étais obligé de m'allonger un peu pour soulager mon dos. C’est donc avec l'autorisation du professeur Glorion que mes parents avaient loué ce fauteuil. Ce fauteuil devenait alors pour moi un tapis magique, je le trouvais super, il était chromé et bleu pour l'assise.

Voila, j'avais ma petite « formule 1 » pour handicapé, j'avais des jambes, j'avais le pouvoir de me déplacer et croyez moi quand vous passer autant de temps dans votre lit, quand votre regard est emprisonné dans ces pièces chaque jour, ces pièces…mon quotidien. Tout est toujours aux mêmes places…immuables, les choses ne bougent pas, et mon regard se perd parfois dans ma chambre. Alors oui, j'étais content, j’étais heureux, un gamin heureux. Un seul et unique petit problème avec ce fauteuil : je pouvais l’utiliser mais il fallait que j'ai les jambes allongées en permanence et quand vous louez un fauteuil roulant, il n'existe aucun gadget qui fait que l'on puisse adapter le fauteuil en rapport au problème, au handicap d’une personne en particulier.

Un fauteuil est fabriqué pour être assis, point final, après il n'y avait rien d'adaptable. Donc mon père s’est alors révélé astucieux. A l'aide de tube et d’une toile rigide, il a fabriqué de quoi installer sur les tubes du fauteuil une rallonge de manière à ce que mes jambes soient toujours allongées.

Très vite j'ai appris à le contrôler moi-même, très vite, j'ai appris à marcher avec, à courir avec, chaque mouvement de mes mains sur les roues, c'était mes jambes qui avançaient. Mais le plaisir des plaisirs, c’est que j'avais aussi l'autorisation de quitter le centre, de partir en voiture avec mes parents, j'avais accès au monde extérieur, qui avait-il derrière ces murs, ces arbres, au-delà de ce château où je vivais depuis quelque temps, même si j'aime l'océan, même si au centre les enfants étaient gentils, le personnel soignant qui m’entourait était compréhensif, j'avais besoin de ce vrai monde. J'avais quelque part une envie de retourner dans la vie. Souvent à la télévision, on découvre des particularités régionales, des sites à visiter…souvent on cite la Bretagne, comme étant une région spécifique avec l’océan, ses falaises, le temps….on dit même que c’est la région où il pleut tout le temps…mais c’est aussi là que les paysages sont les plus pittoresques et véritables, encore bruts. J'allais pouvoir le découvrir, j'allais réellement me rendre compte de mes propres yeux de la beauté qu'offrait réellement la Bretagne, mais une petite partie seulement…

J’'allais donc désormais au devant des autres mais j'allais aussi découvrir le regard des autres, j'allais découvrir que mes nouvelles jambes sur roues allaient attirer des regards en coin… Mais après tout, ce n'est pas grave, j'allais respirer, j’étais hors des murs de ma chambre et ça c'était pour moi un vrai bonheur , j'allais voir de mes yeux les remparts de Guérande et installée à l'intérieur de la ville, j'allais découvrir une autre ville, j'aimais m'y promener en fauteuil même si les ruelles intérieures de cette cité médiévale n'étaient pas faciles à pratiquer.

J’aimais imaginer la vie d'autrefois dans ces petites rues pavées, oui je commençais à revivre mais ce que je préférais, c'était Le Croisic… Le Croisic et son port de pêche, sa jetée et son phare, je me souviens aussi que souvent en longeant le port en direction du phare, il y avait une femme en costume breton, je crois qu'elle vendait sur un petit chariot des cartes postales mais aussi du sel. Elle était âgée mais toujours présente, enfin très souvent là, sur le côté de la route, juste installée au bord des amarrages des bateaux. Elle souriait à tous les passants qui la regardaient et moi j'étais impressionné de voir sa coiffe et je me demandais comment elle pouvait tenir si bien sur sa tête. Puis si vous allez en direction de Batz, s’offre à vous la côte sauvage et là, à nouveau un émerveillement pour les yeux d'enfants que j'étais, une vue incroyable, une vue à vous couper le souffle, oui je prenais des photos dans ma tête, je prenais des souvenirs et les enfouissais dans ma mémoire, mes yeux me servaient d'appareil photo et mon cerveau créait des albums pour y conserver tout ces souvenirs si forts, si intenses que même aujourd'hui je revois tout…

Bien sur avec le temps, ce paysage a sans doute changé, mais ces endroits sont, j'en suis sur toujours aussi magnifiques. Je me souviens aussi en prenant la route pour aller au Croisic, de ce superbe moulin à vent installé sur la gauche de la route, il était tout blanc et les pales tournaient lentement.

En descendant sur Guérande, les marais salants s’étalaient là, sous nos yeux, formes bizarres pour moi gamin, plein de rectangles ou carrés, de formes différentes, et là on récoltait le sel ! Chez moi les paysans ramassaient le blé en tracteur, ici, les paludiers eux travaillaient à l’aide de drôles de râteaux, ils avaient des manches immenses…et faisaient des tas de sels, des mulons, je l’apprendrais plus tard.

Des instants gravés en moi, des souvenirs impressionnants pour moi l'enfant des terres amoureux de la mer. Pour cette première sortie mes parents m'avaient emmené au restaurant, un restaurant juste en face des remparts de Guérande, ils voulaient me faire plaisir et fêter cette escapade hors du centre , Pen Bron était loin de mon esprit…

Dès l'entrée, quelques marches, mon père m’a porté avec le fauteuil et nous avons été accueilli par une femme très souriante. Elle nous a guidé dans un coin de la salle du restaurant, je pouvais m’y rendre sans difficulté avec mon fauteuil, là mon père a démonté son installation pour que je puisse passer mes jambes sous la table, juste le temps du repas. Le centre de Pen Bron est si proche de Guérande, elle avait l'habitude de voir des personnes handicapées et sûrement aussi en fauteuil roulant pour que l'accueil soit aussi convivial. Mais le regard de certains dans le restaurant était pesant, peut-être pas n’étaient-ils pas encore habitués à nous voir là, nous souffrant de handicap, mais j’étais un gamin et aujourd’hui je peux comprendre que leurs regards aient été présents mais fuyants en même temps, un enfant en fauteuil, cela attire forcément le regard. De façon plus générale, nous sommes quelque part le reflet d’une peur, la peur d'imaginer que cela puisse arriver à un proche, un enfant, un ami… Nous avons une nouvelle fois passé un début d'après midi superbe entre ce repas et une dernière ballade, avant que mes parents reprennent la route en direction de la vraie vie, enfin une vie où je ne les accompagnais pas. Moi installé dans mon lit, j'étais à nouveau seul, mes copains étaient à regarder la télévision et pour ceux qui pouvaient marcher, ils se trouvaient dans le centre quelque part, ou dans les jardins. Mes parents m'avaient laissé le fauteuil mais j’ai rarement eu le droit de l'utiliser, les soeurs ne voulaient pas que je m'en serve. Alors peut être qu'elles ne désiraient pas que je sois privilégié, d’autres enfants n’en avaient pas, c’est vrai…ce fauteuil, ces jambes qui auraient pu me permettre de me déplacer plus librement, m'était souvent interdit. Et je restais donc cloué dans mon lit. Nous avions des jeux vraiment plus que bêtes parfois, peut être dus au manque de loisirs, alors nous inventions des jeux, des jeux plutôt dangereux, des jeux qui pouvaient être sans retour… Nous nous passions autour du cou un cordelette ou un morceau de laine que l’on tournait autour de notre cou, l'un après l'autre, chacun notre tour, nous tournions sans arrêt jusqu'à ce que le dernier restant ait gagné notre défi. Nous allions tellement loin dans nos bêtises que souvent une marque apparaissait sur notre peau, pendant quelques temps un sillon bien fin restait gravé sur notre cou. La dernière fois où je l'ai gagné, je l’avais tellement tourné, tourné cette cordelette qu'elle s’était toute entremêlée et a fini par faire un nœud. J'avais beau tourner dans l'autre sens, sans arrêt, elle ne voulait plus se défaire et je tournais à droite et à gauche, rien n’y faisait, impossible que la ficelle libère mon cou, impossible de la démêler. Je commençais à peiner, à respirer difficilement, et oui il fallait vraiment être un garnement inconscient pour jouer à ce genre de jeu. J’ai attrapé le couteau qui se trouvait sur ma tablette de repas, l'ai glissé entre mon cou et la cordelette et je l'ai coupée. J’étais tout rouge, tout le monde riait mais pas moi, non pas moi, je n'ai pas ri de ma bêtise, j'ai eu à ce moment là très peur. J'avais gagné à ce jeu stupide mais pour moi j'avais perdu, oui perdu parce que ce jeu était trop dangereux, il avait fallu qu'il arrive cela pour que la peur s'empare de moi. Je me suis souvent demandé ce qui aurait pu se passer si ce jeu débile je l'avais fait en début

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