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Les Enfants de Pen Bron, La Turballe

Mes premiers jours à Pen Bron...et son école

Il est sept heures,  j'ouvre les yeux, je suis un peu perdu,  je me demande où je suis mais très vite je comprends. Je sais où je suis et mes yeux n'ont qu'une envie, l’envie de se refermer. Qu'on me laisse me rendormir

Mais une fille de salle ouvre les volets et je retrouve cette magnifique vue, cela c’est bien réel. Le petit déjeuner arrive, je ne sais plus ce qu'il y avait mais certainement un chocolat et du pain, comme dans chaque hôpital.

Tous les marchants sont là installés devant leurs bols encore en pyjama et la journée commence avec des rires puis très vite,  un à un,  nous sommes emmenés  au lavabo. C’est une petite pièce située près de notre chambre. La toilette commence, quand un gosse a fini un autre le remplace,  les derniers n’ont pas trop d'eau chaude mais ça frotte dur,  un coup de brosse à dents et nous voila tout frais, tout neufs.

Une première toilette sans bassine posée sur la table,  comment je l'ai appréciée, avoir de l'eau qui jaillit du robinet et pouvoir une fois le savon passé sur le corps pouvoir le rincer correctement.

Avec la bassine, ce n’est jamais le cas,  on rinçait une fois son gant de toilette puis après on a toujours l'impression que l'on se rince avec de l'eau savonneuse et je n’aimais pas ressentir l'effet que cela faisait, ma peau était toute raide mais là, le plaisir de pouvoir passer et repasser ce gant sur soi, une vraie toilette ! Un vrai bonheur !

Si je me rappelle bien, je suis arrivé à Pen Bron un mardi, donc là nous sommes mercredi matin et il n’y a pas d'école, nous restons dans nos lits une fois que nous y avons été redéposés.

Les discussions reprennent avec Thierry,  on s'échange des gâteaux,  on lit,  on écoute la radio et nous reprenons notre rythme comme à Clocheville. Parfois nous restons sans rien dire…mes yeux sont souvent braqués sur le décor extérieur. Je vois quelques bateaux sortir en mer et je garde les yeux rivés sur chaque passage d'un de ces bateaux et sur ce petit bras d'océan offert à ma vue.

Thierry et Yannick se promènent souvent, ils vont d'un endroit à un autre mais ils sont là souvent avec nous et nous apprenons à nous connaître un peu plus chaque jour.

L’histoire de Thierry,  c’est celle d'un gosse qui joue au ballon avec des copains dans sa cours,  une bonne partie de football comme tous les gosses aiment à y jouer.

Mais un coup de pied dans un ballon un peu plus fort que les autres,  un ballon qui monte, monte et passe par dessus la porte d'entrée de la cour et file dans la rue…un ballon qui fuit les enfants et Thierry,  lui se lance à sa poursuite, il  n'a qu'une seule et simple idée récupérer ce ballon très vite pour pouvoir reprendre aussi vite que possible la partie de football.

 Il court, passe la porte d'entrée,  s’élance dans la rue sans même regarder,  traverse le trottoir et pose son premier pas sur la route,  toujours obnubilé par ce ballon qui roule maintenant devant lui…

Après que dire,  que dire que vous n'ayez pas compris, un camion arrive au même moment,  ce routier est au volant de son camion, il  roule comme tous les jours et là surgit devant lui un gosse,  il arrive,  il le voit mais il est trop tard,  il aura beau freiner de toutes ses forces,  écraser cette pédale au milieu des deux autres,  rien n'y fera rien, le malheur arrive,  il freine mais rien à faire il tamponne Thierry,  il ne l'envoie pas en l'air non il l'écrase et le camion s'arrête,  s'arrête trop tard mais trop tôt aussi.

 La roue du camion est sur le bassin de Thierry,  si mes souvenirs sont bons,  c'est comme cela que Thierry a perdu sa jambe,  par le fait que le camion se soit arrêté sur sa jambe, puis sur son bassin,  
S’il l'avait percuté peut-être que Thierry aurait eu simplement la jambe cassée, je ne le sais pas mais, cette maudite roue a fait des ravages.

Thierry me dit que sa prothèse le brûle au niveau de son moignon et qu'il préfère ne pas la porter très souvent à cause de cela et c'est vrai que je le verrais rarement avec.

Et là,  tout calmement Yannick me dit à son tour que si je sentais de mauvaises odeurs, il ne fallait pas hésiter à le dire à Thierry, je ne comprends pas et là Thierry remonte son pull et montre deux poches posées sur son ventre,  une de chaque côté, une pour l'urine,  une pour les matières fécales. Il me dit alors que lui-même, parfois, il ne les sent plus  et qu’il fallait alors le prévenir.

Oui ce camion aura fait d'énormes ravages sur Thierry mais une chose est sur encore une fois comme je l'ai écris dans le blog,  quand on est môme,  on supporte tout,  on accepte tout,  lui il l'acceptait peut-être sans comprendre ou se rendre compte de ce qu'il avait sur le ventre et de cette jambe qui lui manquait.

Jeudi, un jeudi matin où on me laisse tranquille,  une nouvelle journée commence,  on me dit que je n'irai à l'école que cette après midi et j'en suis super content, je n'avais pas trop envie d'aller en classe.

Il me fallait une nouvelle fois affronter d'autres regards, ceux des autres enfants et surtout celui  de la maîtresse et je redoute cet instant. J'ai une trouille comme un gosse qui se retrouve dans une nouvelle école et qui ne connais personne. Mais bon, c’est un peu le cas…

 La matinée,  je la passe une nouvelle fois seul à regarder de mon lit l'océan. L'heure du repas arrive très vite, trop vite mais voilà tout le monde est là à prendre son déjeuner et à discuter… ça parle,  ça crie,  il y a des disputes,  enfin des petits  mots qui partent de droite ou de gauche,  comme dans tous les réfectoires sauf que là c'est une chambre.

L'heure arrive, le moment fatidique est là, je ne plaisante pas, croyez-moi…une fille de salle me prend dans ses bras et me dépose sur un lit à grandes roues  je suis installé  bien au milieu et on installe d'autres enfants autour de moi.

Direction les couloirs où l'on va prendre l'ascenseur pour aller dehors,  l'air pur, je ne l'ai pas senti depuis mon arrivée, cela me fait du bien de sentir ce vent glisser sur mon visage mais c'est pas pour autant que je me sens mieux, j'ai toujours le trac.

Le jardin intérieur est magnifique,  nous croisons des enfants,  plein de gosses, les uns  marchent difficilement,  d'autres marchent aussi mais avec plus de peine encore car ils sont appareillés au niveau de leurs jambes de barres ou tubes en fer qui partent du haut de leur bassin pour rejoindre leurs chevilles.  On dirait presque des jambes de robot, cela fait vraiment bizarre,  certains ont pour avancer un déambulateur,  ils marchent pas à pas,  très,  très lentement,  leur démarche est décomposée comme au ralenti avec un boitement, un déhanchement qui leur donne l'attitude de quelqu'un qui va tomber ou trébucher. Je suis impressionné…


Nous arrivons en classe, on dépose certains des jeunes dans d’autres salles et bientôt on rentre mon lit à roulettes dans une classe où se trouvent d'autres lits et quelques tables, comme dans une vraie classe.

Tout le monde me regarde,  tous les regards, comme je le redoutais, sont là à me dévisager mais le plus redoutable se situe la derrière ce bureau déposé sur une estrade
Une femme au visage abîmé par le temps, des lunettes posées sur son nez,  des cheveux gris blancs,  elle me regarde,  je trouve drôle qu'elle ressemble à Tartine, un personnage de bande dessinée, une femme super forte qui règle les problèmes au fil de chaque page de la bande dessinée,  oui elle lui ressemble trait pour trait mais elle me semble quand même beaucoup plus fragile, plus maigre, plus chétive.

Elle me demande mon nom, mon prénom, d'où je viens, depuis quand je suis arrivé au Centre et pourquoi je n'étais pas en cours ce matin.

Je suis sur qu'elle connaît les réponses à toutes ces questions, j’en suis persuadé mais elle cherche à me faire parler, je parle, je lui répond mais elle me fait répéter parce que je murmure et qu’elle ne m'entend pas. Je renouvelle mes réponses,  je lui dis que je m'appelle Emmanuel que j'arrive de Tours et que j'habite Châteauroux, une ville située dans le centre de la France.

Elle me dit que je suis ici pour suivre une scolarité et essayer de tout faire pour m'empêcher de redoubler une année scolaire  à cause de ma maladie, que la classe est de plusieurs niveaux et qu'elle s'occupe de nous tous en même temps, qu’elle donne aussi des cours à certains pendant que d'autres font des devoirs d'un autre niveau et la classe commence, enfin…

Je ne me souviens pas de tout, mais je sais que j'ai retrouvé très vite un livre de calcul que j'avais déjà en classe à Léon XIII,  il était de couleur verte et les feuilles se détachaient au fur et à mesure que les cours avançaient. Il y avait les cours et les exercices d'application,
j'ai souri à retrouver ce livre parce que j'aimais ce genre de livre sans en être un vraiment… donc je pense que nous avons fait des mathématiques et ensuite du calcul mental où nous écrivions sur une ardoise les résultats, il fallait faire très vite.

Enfin la récréation arrive. Les enfants qui pouvaient marcher avaient encore une fois la chance de pouvoir sortir dans la cour. Là, assis sur mon lit avec d'autres je ne parlais pas, je ne faisais rien, je n'avais qu'une hâte que le temps défile très vite, et d'être enfin à  l'heure de sortie d'école qui devait être 16H30.

Mais, la classe a repris et là le moment fatidique arrive quand Tartine, non pardon, Sœur Marguerite, c'était le prénom qu'elle avait, il est tellement gravé dans ma mémoire ce prénom… mais de toute ma vie quand je pense ou évoque  cette maîtresse je l'appelle et l'appellerais toujours Tartine.
La maîtresse nous demande de prendre notre cahier de français, nous allons faire une dictée. Je suis décomposé,  là j'ai eu un regard vers elle en la suppliant, en essayant par la pensée de la faire changer d'idée, j'aurai aimé avoir ce pouvoir à ce moment là,  j'aurai aimé pouvoir l'hypnotiser et arrêter le temps pendant un instant et lui dicter autre chose que le mot dictée…
Mais je prends mon cahier tout neuf, je l'ouvre, je prends un des stylos qu'elle m'avait donné peu de temps avant et j'attends qu'elle commence, qu'elle nous donne le titre de cette maudite dictée.
Et voila, elle commence à parler, à répéter les phrases doucement puis un peu plus normalement, elle appuie bien la fin de chaque mot, elle fait bien les liaisons, elle parle, parle et ne s'arrête pas…enfin si à chaque point  elle respire,  à chaque virgule, elle marque un léger temps et reprend mais la dictée est dure, je remplis une page de mon cahier puis je vais à l'autre page. C'est pas possible, elle ne va pas s'arrêter de parler, de dicter, non, elle continue, mon stylo allait bientôt ne plus avoir d'encre, je n'aurais jamais assez de pages pour terminer ce texte qu'elle a devant les yeux, elle continue, elle parle, parle…

Enfin elle finit une phrase par un point final,  je la regarde et là je l'aime d'un coup, je suis super content qu'elle ait fini,  elle attend un peu, puis nous relit la dictée tranquillement,  là j'écoute,  je la regarde et je regarde tous les gosses,  ils sont là installés la tête baissée sur leur feuille, les yeux rivés sur chaque mot qu'elle dicte l'un après l'autre. De temps en temps je fais comme tous le monde je regarde ma feuille pour faire comme eux, mais je la vois qui me regarde, je la vois qui m'observe et elle lit. Une fois qu'elle a fini de lire,  elle nous conseille de relire tranquillement, tous chacun de notre côté, le texte et de corriger les fautes que nous aurions pu faire pendant la dictée.

Il n'y a pas un bruit dans la salle, pas un mot,  on pourrait entendre le bruit des stylos tellement le calme règne dans la classe et tous ont les yeux sur leur feuille, tous, pas un seul n'a la tête en l'air,  enfin tous,  sauf moi, je regarde la classe, je regarde dehors, je regarde les dessins qui sont sur les murs et je regarde le vent qui fait bouger les quelques branches dehors.

Quelques instants après elle reprend la parole et nous demande si nous avons fini de relire et d'avoir surtout corrigé nos fautes et tous le monde répond oui.

Elle relit la dictée en épelant chaque mot important, chaque verbe de manière à ce que nous corrigions au fur et à mesure nos fautes à l’aide d’un stylo rouge.

Elle parle encore pendant un long moment et  après avoir fait une légère pause, elle  pose la question…

« Qui a fait dix fautes » quelques mains se lèvent et elle continue fâchée contre un ou deux élèves « Qui a fait neuf fautes » … puis huit et ainsi de suite et elle continue à dire que c'est pas bien et elle arrive à ceux qui en ont fait cinq, quatre et elle fait des remontrances sur certains élèves qui n'auraient pas du faire autant de fautes… je la regarde et moi dans mon coin, j'attends que cela passe, elle arrive à zéro et félicite ceux qui n'ont fait aucune faute,  ils sont peu nombreux mais il y en a…

Puis elle nous explique que la dictée était très importante pour nous, que c'était le meilleur moyen de progresser, de maîtriser l’orthographe…  puis d'un coup son regard se pose sur moi et là elle me dit et toi le nouveau je me rappelle pas t'avoir vu lever la main,  tu as fait zéro fautes et la je répond non,
Là je me sens vraiment très mal, je la revois être en colère pour cinq ou six fautes et j'ai peur, je ne peux pas répondre de suite mais elle est là, me fixe, et soudain hausse le ton en me disant « je vais peut-être pouvoir savoir combien tu as fait de fautes »

 Et là je lui réponds tranquillement en la regardant dans les yeux que j'avais fait… non je l'écrirais pas,  non n'insistez pas,  je le dirais pas même sous la torture,  je ne vous dirais pas que j'avais fait plus de quarante fautes, je le sais,  je n'ai aucune excuse et je ne chercherai même pas à me défendre en disant que cela faisait plusieurs mois  que j'avais quitté l'école ;  il est vrai que j'en faisais beaucoup moins d'habitude mais là quand même,  cela faisait beaucoup…

Elle m’a regardé en me disant qu'il y aura du travail avec moi,  enfin du travail… et puis ce n'était pas normal,  elle m'a ridiculisé devant les autres, j'avais honte, je ne savais plus où me mettre,  de toute manière je ne pouvais aller nulle part, mais d'un coup je l'ai haï,  je l'ai détesté,  je ne l'aimais pas et je ne remettrais jamais les pieds dans sa classe, quoique en y pensant je n'ai jamais mis les pieds dans sa classe.

J'ai attendu l'heure de sortie avec une haine en moi, une colère,  je ne reviendrais pas dans sa classe.

Une fois rentré dans nos chambres,  je suis dans une colère,  je garde tout en moi,  toute cette colère est enfermée en moi,  si j'avais pu me lever et partir je l'aurais fait. Elle croit peut-être que cela va me motiver de m'avoir humilié devant tout le monde,  non tant que les gens qui nous enseignent  agiront comme ça,  ils ne feront que nous dégoûter de l'école et là, c’est  bien le cas.

Je ne parle pas, et tout le monde est au courant,  on a beau être là, à ne pas pouvoir marcher,  l'information,  elle circule,  et voilà, le nouveau est nul.

Je n'y retournerais pas,  c’est  sur, elle peut toujours courir,  c’est  impossible pour moi de retourner dans cette salle de cour.

La soirée a calmé ma colère même si en moi elle résonne sourdement encore.
Le lendemain matin, une fille de salle vient nous chercher,  je refuse d'y aller, ha !   Non c’est impossible, alors elle essaye avec de belles paroles de me faire changer d'avis mais non je n'irai pas…      
Des belles paroles, on  est passé à un haussement de ton, d’autres personnes arrivent, elles tentent de me convaincre,  elles me fâchent,  je dis me fâche pour être polis mais je tiens bon.    
Puis tout le monde baisse les bras et me laisse tranquille en me disant, ok pour ce matin, mais cet après midi,  tu y vas…mais bien sur que je vais y aller,  tu as raison toi…
Matinée tranquille, super tranquille, enfin l’heure du repas approche, mais le temps s’écoule et il faut aller  en classe alors là je vous dis pas comment ils m'ont eu…  

 J'ai été pris par deux personnes qui m’ont attrapé et déposé sur le lit. Pas un mot, rien,  je n'ai rien vu venir...

Je sais qu’ils m’ont eu, je ne râle même pas, je garde ma vengeance pour moi.    
On arrive en cours naturellement,  Tartine commence à nouveau à me mettre la honte en disant : « ce monsieur ne veut pas aller en cours, il en fait qu’à  sa tête.» Je ne dis rien, pas un mot et d'ailleurs je ne ferais rien non plus.

Des mathématiques  au français,  rien de rien, je ne ferais rien.

J'attends le week-end avec impatience j'attends cette dernière matinée de cours et enfin revoir mes parents. Depuis leur départ, je n’ai  aucune nouvelle,  je suis là à Pen Bron dans le bâtiment Panckoucke au premier étage,  nous faisons de  jolis colibris,  nous tous,  nous incapable de marcher pour certains et pour d'autres une démarche un peu chancelante mais on a tous hâte de pouvoir voler comme les colibris, de prendre son envol et partir loin….

Depuis mon arrivée, je n'ai vu que les couloirs qui nous mènent en salle de cours, c’est pourtant immense ici, mais pour le moment, j'ai rien vu d'autre …   

    

J'ai envie que les heures défilent,  qu’elles me rapprochent  de samedi, vite,  si je pouvais d'un coup de baguette magique, je le ferais  pour que le temps avance à toute allure afin de pouvoir voir une personne que je connais, une personne de ma famille.

Ce soir là, je scrute l'océan, enfin le peu de temps qu'il me reste à l’apercevoir  vu que la nuit tombe vite et qu'après il ne me restera que le doux bruit des vagues à entendre et mes yeux les  imagineront s'écraser inlassablement, perpétuellement  sur la digue.

Samedi matin, mon premier samedi,  dernier jour de classe et là j'ai hâte,  j'ai encore la tête ailleurs, je suis présent en cours, mais mon  regard est rivé sur la fenêtre, oui,  bientôt, très vite  je vais revoir mes parents. Ils sont la route en ce moment,  ils ont du quitté Châteauroux  de bonne heure pour être présent avec moi le plus tôt possible.

J'ai un énorme besoin de leurs mots, de leurs regards, de leurs gestes.

La classe n'en finit pas, les aiguilles de la pendule et celles de ma montre sont au ralenti.

Enfin j’entends Tartine nous donner les devoirs pour lundi matin,  si elle savait ce que j'en pense de ses devoirs,  si elle savait que j'ai autre chose à faire que de perdre le peu de temps que j'aurais ce week-end à faire des devoirs.

Ça y est, les filles de salle  viennent nous chercher pour nous accompagner dans nos bâtiments respectifs,  je voudrais faire voler ce lit sur roues, le faire aller plus vite qu'une voiture de course,
je suis là dans le couloir de ma chambre, j’ai envie qu'ils soient là, que mes parents soient  dans la chambre dès que j'aurais tourné…

Ils sont là, ils m'attendent,  mon père assis sur le bord de mon lit, ma mère debout range dans ma table de nuit des sachets de bonbons et des bandes dessinées… Je souris, je souris et au fond de moi ça me brûle,  j'ai envie de pleurer, de pleurer de joie, ils ne sont pourtant partis que depuis quelques jours mais là ça me brûle fort à  l'intérieur. Je retiens mes larmes, pourtant mes yeux sont prêts à libérer tout ce bonheur, mais non  je ne veux pas pleurer, je garde cela en moi.

Ma mère m'embrasse, mon père aussi et cela est  tellement rare de sa part que  j'ai toujours eu l'impression qu'il se forçait,  mais ce n’est  pas le moment de penser à cela.

Tout de suite, je leur raconte tout, tout, tout de ma rentrée en classe, des petits soucis que j'ai eu avec la maîtresse mais aussi des enfants qui sont avec moi.

Mes parents sont là, ils  restent avec moi jusqu'à l'heure du repas,  ils devront partir le temps que nous mangions tous ensemble, nous les enfants,  mais avant ils me racontent la vie à Châteauroux et je me sens bien.

J'imagine mon frère tout seul et très entouré à la fois,  il m'arrive de me dire qu'il a de la chance d'être avec tout le monde, de pouvoir retrouver ses copains tous les jours et je souris mais jamais je n'aurai échangé ma place avec lui, non je n'ai jamais imaginé cela.

Les enfants de la chambre me demandent ce que mes parents m'ont apporté et tous me disent que j'ai de la chance de pouvoir voir mes parents et moi j'avais hâte, hâte qu'ils reviennent au Centre.

Quand mes parents sont revenus, le lendemain,  ils m'ont dit qu'ils avaient trouvé un petit hôtel et qu'ils avaient déposé leurs affaires et pris un repas rapidement pour pouvoir revenir très vite me retrouver.

Une fille de salle est venue leur proposer un lit de sortie oui je vais l'appeler ainsi : un lit de sortie car ce lit est un lit de promenade.

Nous nous sommes dirigés  vers l'ascenseur et avons pris la sortie du Centre,  là j'ai pu enfin vraiment réaliser et prendre toute la dimension de l'endroit où j'étais,  découvrir ce bâtiment qui pour moi tout gosse me paraissait immense, un vrai château…

Nous avons pris la direction de l'embarcadère,   il en aura connu lui aussi des moments durs et longs de reconstruction, tout comme nous nous les gosses de l'intérieur.

C’est superbe,  je vois le port enfin de près,  il est là juste de l'autre côté de la rive. En arrivant au bout de cette jetée,  c’est l’océan,  le vent est là, léger, je suis bien, je vis même,  j'aimerais marcher dans ce sable, je vis,  je vois ces vagues, c’est  super beau enfin des images qui me font du bien… 

Une journée comme ça passe trop vite, c’est fou mais j'ai pris l'air,  j'ai pris enfin la vie en plein visage, un visage de môme qui découvrait un endroit particulier, un endroit de douleur, d’isolement mais aussi un lieu ouvert sur la mer, un lieu magnifique où se côtoient les dunes et l’océan, un lieu avec des bruits si nouveaux pour moi, le cri des mouettes,  le fracas des vagues sur les rochers et la digue, les bruits des moteurs des bateaux de pêche… 

 
Nous avons mangé ensemble à la cantine du Centre. Les soeurs avaient autorisé mes parents à prendre le repas avec moi, ainsi on ne se quittait pas et puis honnêtement, financièrement cela arrangeait bien mes parents car ils devaient déjà s’acquitter d’une chambre d’hôtel, des voyages en voiture et  oui, économiser sur les repas et éviter le restaurant c’était une bonne chose… mais ne cela durera pas malheureusement.

J’étais bien,  nous nous sommes encore promenés autour de la jetée,  j'ai une nouvelle fois senti  la force du vent et j'avais l'impression d'être comme du linge que l'on met à prendre l'air.

Mes parents reprenaient la route en fin d’après midi car demain, oui demain pour eux une nouvelle journée de travail, une nouvelle semaine commençait. Pour moi aussi une nouvelle semaine, mais de cours et j'en ai pas envie.

Ma mère me demande si j'ai besoin de quelques choses pour la semaine prochaine,  enfin je dirais plus le prochain week-end…j'avais déjà ma petite idée, j'avais préparé une petite liste, ho ! pas grand-chose,  non j'avais besoin de peu ici mais comme on m'avait dit que Tartine enfin Marguerite, mais n’ayez aucun doute, vous allez vous y faire, c’est facile… donc il parait que Tartine n'aime pas du tout le parfum de l'eau de Cologne donc dans ma liste l'eau de Cologne se trouve en première position…  voila ma guerre est déclarée contre Tartine,  elle déteste l'eau de Cologne,  je vais donc contre-attaquer comme je peux,  je vais me lancer dans la bataille du "je sens bon et fort le parfum" et  "ne m'approche pas".

Voila ma mère m'embrasse, j’ai le coeur qui se serre,  mon père m'embrasse,  il me sert encore plus fort, je les vois passer la porte de ma chambre, je les regarde par la vitre, mes yeux ne les quittent pas jusqu'au moment où ils disparaissent de la vitre, voila un dimanche qui finit…pour moi la journée n'est pas encore terminée…Mes yeux sont remplis de larmes que je ne laisserais pas couler non,  plus maintenant,  je les garde au fond de moi,  je pleure de l'intérieur,  personne ne me verra ainsi, mes larmes sont bien là mais je me battrais pour que personne ne les voit.

Oui cela endurcit d'être là,  cela forme,  je ne suis plus,  je ne serais plus le petite garçon comme bien d'autres, on devient mur beaucoup plus rapidement,  même si mon corps est celui d'un enfant, même si mon corps est malade,  dans ma tête cela travaille dur,  très dur, c’est peut-être  pour cela que plus tard je serais toujours à m’interroger, mais on est plus le même une fois avoir subi quelque chose de grave,  je pense. 


Les journées passaient très vite et lentement à la fois.

Le soir quand le vent soufflait très fort, j'entendais la mer, j'entendais le vent qui venait cogner aux volets de la  chambre,  il tapait fort à la porte pour s'inviter à entrer mais moi je le préférais là, cognant dans les montants… sous  la force du vent les vagues se jetaient l'une après l'autre contre le mur de la jetée…

Certains soirs la veilleuse de nuit nous emmenait voir la télévision,  elle nous permettait de rester un peu plus tard pour regarder les matchs de la coupe d'Europe. J'étais un supporter des Verts,  j'aimais cette équipe comme beaucoup de jeunes maintenant aiment Marseille ou Lyon,  nous à l'époque les grandes équipes c'étaient Saint-Étienne Nantes et déjà Marseille …

J’étais fou devant le petit écran à regarder les arrêts de Curkovic,  ses prises de balle et sa déception quand de rares fois, il prenait un but, mais le meilleur, celui qui me faisait rêver le plus dans cette équipe c'était Piazza. Il était  grand et fort avec une chevelure très longue qui flottait au  vent et quand il accélérait sa course, il paraissait invincible.  J'adorais le regarder sur le terrain, je ne voyais que lui.

Donc la personne qui s'occupait de nous,  nous emmenait les uns après les autres,  elle nous prenait dans ses bras puis nous déposait dans la salle de télévision, la salle où se trouvaient aussi de très grandes baies…  cette salle était la plus près de la mer

Dès qu'elle me déposait dans le lit,  je me dépêchais d'aller très vite à côté de la fenêtre pour voir l'océan,  non pardon,  elle m'installait près de la fenêtre et  juste sous mes yeux, là où mes parents me sortaient le week-end, oui à cet endroit, je surplombais l’océan, mon regard se portait très loin, j’écarquillais les yeux, oui pour que mes yeux aspirent toute cette immensité offerte.

Je n'étais qu'à cinq mètres d'elle, elle était  juste là,  en dessous,  je la voyais parfois, je la devinais souvent dans le noir, je voyais les vagues s'éclater et monter en une gerbe immense.

C'est aussi comme cela l'océan,  il est souvent calme et beau l'été mais l'hiver, il lui arrive d'être violent, d'être sournois, insoumis mais il est toujours beau,  souvent je pensais à ces marins partis en mer,  pour certains le temps d'une marée,  pour d'autres plusieurs jours et je me demandais comment ils pouvaient résister à la violence des vagues qui frappaient leur bateau aussi fort qu'elles venaient frapper la digue… comment pouvaient-ils travailler et aussi se reposer là bas, si loin de chez eux,  bien au large,  avaient-ils le même temps qu'ici… dur métier que celui de pécheurs,  dure vie,  dur travail qui fait nous profitons de poissons pêchés du jour sans même penser un peu à toutes ces coulées de sueur, aux vents qui balaient sans cesse leurs visages, à l’eau qui crevassent leurs mains…mais ils sont sur le pont et remontent les filets….

Attention je parle des marins des petits ports de pêche, ceux auxquels je pensais et que j’accompagnais de mes yeux, mais aujourd’hui,  des marins, qui 35 ans plus tard, arrêtent le métier,  dépassés par les événements, dépassés par la taille des bateaux, dépassée par des décisions prises à une échelle si grande  et qui dépasse bien souvent leur quotidien, oui …  il faut aujourd’hui répondre par quota et secteurs de pêche…  la lutte est difficile avec les pays qui donnent sur l’Atlantique…

Donc ces soirs-là  le je passais mon temps entre le match et l'océan,  j'avais deux passions et là je pouvais m’envoler d’un coté, m’emplir les yeux de couleurs et de  formes et de la vie qui se déroulait là au Croisic, juste en face de moi,  et courir très vite sur un terrain de sport, me laissais porter par mes jambes et courir, courir,  par la lucarne qu’est la télévision. 


Mes parents venaient me voir toutes les semaines et chaque vendredi soir pour moi commençait la longue attente du samedi midi mais…chaque samedi matin en classe je n'étais déjà plus là…..

Mes parents m'avaient donc emmené mon arme pour repousser Margueritte,  de l’eau de Cologne,  la lavande était le parfum que j'utilisais le plus souvent. Chaque jour après la toilette,  je prenais la bouteille et je déversais sur moi, sur mon corps et mes cheveux cette eau parfumée et fraîche,  quelque part elle me faisait du bien mais je ne la mettais pas pour cela,  non, vous pensez bien, je la mettais pour Marguerite… Je m’en aspergeais,  j'étais inondé de ce parfum et en début d'après midi,  avant de retourner en cours   et bien oui  je recommençais le même rituel,  je passais plus d'une bouteille d'eau de Cologne par semaine et mes parents m'en ramenaient une nouvelle à chacune de leur visite.

Il émanait de moi une odeur, forte, très forte,  mais le résultat était sans appel,  je ne l'ai eu que rarement à mes côtés mais cela ne l'empêchait pas autant de m'interroger de son bureau,  cela ne l'empêchait pas de corriger mes contrôles et me de faire toutes sortes de commentaires mais je me sentais si je peux dire,  oui je me sentais beaucoup mieux Marguerite loin de moi.

Tous les jours une dictée venait clore la classe,  tous les jours la même chose,  et tous les jours,  elle me demandait le nombre de fautes et à chaque fois j'avais droit à ma petite séance où elle me réprimandait devant tous le autres mêmes si j'avais fait moins de fautes. Pas une fois,  non pas une fois elle m'a félicité,  ne serait-ce que  pour me dire c'est beaucoup mieux aujourd'hui,  tu as vu tu as fait moins de fautes,  tu dois  continuer,  tu vas y arriver…non jamais,  jamais je n'ai entendu de sa part un seul encouragement,  seulement des remarques désobligeantes mais je m'y étais habitué et cela ne me faisait plus rien.

Les matières que j'aimais bien,  c’était l'histoire et la géographie. C’est à  Pen Bron que  j'ai  appris la vie maritime et les ports de France,  ses ports de pêche,  ses ports de marchandises,  j'ai appris plein de choses qui m'ont intéressées moi l'enfant des terres,  il y a avait des ports tout le long du littoral, un port destiné stratégiquement à pouvoir délivrer là plus qu'ailleurs le pétrole, le gaz, ou bien des marchandises diverses,  on les appelait aussi des terminaux.

J’ai aimé apprendre,  j'ai aimé écouter les cours de Marguerite ;  ces jours là j'ai aimé regarder la carte de France accrochée au mur ou au tableau et voir tous ces points stratégiques que Marguerite nous faisait découvrir… et là seulement,  là j'étais certainement le plus attentif de la classe.

Quand mes yeux se posaient sur  la carte de France,  je situais Châteauroux, ma ville, je fixais ce point sur la carte, je revoyais tous les endroits que j’aimais, mon quartier, ma rue, ma maison,  je voyais même les gens marcher,  parler,  ils étaient là devant mes yeux, petits fourmis qui s’activent, …j'imaginais, oui j’étais de nouveau chez moi.

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